Allocution « Décolonisation : Révolution tranquille »

Monsieur le Directeur du Groupe d’initiative de Bakou,

Monsieur le modérateur,

Camarades de Kanaky, Polynésie, Martinique, Guyane,

Mesdames, Messieurs,

Je m’adresse à vous aujourd’hui au nom de plusieurs organisations patriotiques guadeloupéennes : le KSG, le FKNG, le MIR, le CIPN, le CIPPA et mon organisation l’ANG, réunies au sein du mouvement unitaire « Sanblé pou Nasyon Gwadloup » qui m’ont chargée d’un message commun pour la Guadeloupe.
Nous remercions le Groupe d’Initiative de Bakou d’avoir organisé cette conférence dans le cadre de la 4ème décennie pour la décolonisation. Ces décennies s’inscrivent dans la continuité de la déclaration de 1960 sur la décolonisation, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 1514.

C’est justement au cours de ces années 60 que naissent les mouvements contemporains de lutte contre le colonialisme français en Guadeloupe. Notre présence aujourd’hui ici permet de mettre en lumière les combats qui ont été menés depuis cette époque par bien des militants qui, petit à petit, sont en train de nous quitter mais qui éclairent encore notre lutte pour la décolonisation.

Cette lutte politique des années 60 a été brutalement stoppée par la répression lors des évènements de mai 1967 où les forces coloniales ont tiré sur des civils. Ces événements traumatisants dont le principal objectif était d’étouffer le mouvement patriotique, ont été qualifiés de massacre par la commission Stora, une commission nommée par l’Etat français en 2016. Selon cette commission “le massacre a eu lieu dans des conditions et d’une ampleur impossibles en France”. Si la départementalisation ne nous a pas protégés du massacre colonial, c’est certainement parce que cette départementalisation n’a pas été la fin de la colonie.

Que dénonçaient les anticolonialistes à l’époque ?
– La déportation des jeunes mise en place de manière officielle par un bureau des migrations, le BUMIDOM pendant que des français étaient encouragés à venir s’installer en Guadeloupe dans tous les secteurs administratifs avec des avantages conséquents. Ce que Aimé Cesaire a appelé le génocide par substitution.
– La surexploitation des travailleurs et la misère subie par la population.
– L’aliénation du colonisé si bien décrite par Fanon, qui est infériorisé et animalisé, qui a honte de lui-même, de sa couleur ou de ses origines et fait tout pour ressembler au colon, pour intégrer le monde du colon.
Malgré cette situation et la répression coloniale qui devait les terroriser, les travailleurs et la population vont s’organiser pour résister et revendiquer notamment avec de grandes grèves dans les années 1970. Puis de nombreux patriotes guadeloupéens ont risqué leur vie dans les années 80 pour défier le colonialisme sur le terrain de la lutte armée.

Plus de 60 ans après, qu’y a-t-il de changé ?

Le mouvement patriotique a ouvert la voie à la résistance sur le plan identitaire et culturel face à un colonialisme français centralisateur et assimilateur dans une république prétendument une et indivisible avec une seule langue, une seule culture. Les luttes menées ont heureusement permis de sauvegarder l’essentiel, l’âme du peuple Guadeloupéen, c’est-à-dire son identité culturelle, sa musique, sa langue qui sont autant de remparts contre la dépossession.

Cependant, sur les autres plans, la situation s’est aggravée
1. La disparition programmée du peuple guadeloupéen se confirme avec l’exode massif des jeunes en âge de procréer et la situation de précarité et de violence dans laquelle se trouvent ceux qui restent.

En effet, entre 2013 et 2018, la Guadeloupe a connu une diminution de la population de 0,7% par an. Il est attendu entre 2018 et 2070, une perte de 0,9 % par an.
Ainsi, de 388 000 habitants en 2018, nous passerions à 241 000 en 2070 soit une perte de 147 000 habitants en 52 ans. Cette diminution démographique engendre un vieillissement de la population : dans 7 ans, en 2030, un tiers de la population sera âgée de plus de 60 ans.

Concernant la violence, nous déplorons un niveau d’atteintes volontaires à l’intégrité physique une fois et demi supérieur au ratio français

2. Notre population diminue, mais en revanche, l’acquisition de terrains et l’installation de français et d’européens est rendue très facile par notre situation coloniale et notre appartenance à l’Europe, ce qui entraîne une disparition progressive et un renchérissement du foncier disponible pour l’installation des jeunes.

3. La situation de mal développement économique est caractérisée par la destruction du secteur productif et une dépendance structurelle aux importations.

Notre balance commerciale est déficitaire de plus de 2,8 milliards d’euros. Notre pays est devenu un territoire de consommation et un marché captif. Ainsi, quelques groupes sont en situation d’oligopole dans plusieurs secteurs d’activité. Deux d’entre eux pèsent énormément dans le portefeuille des Guadeloupéens et des Martiniquais : la grande distribution et l’ensemble du secteur de l’automobile, de la vente à la réparation en passant par la distribution des pièces détachées.

Cette situation de mal développement entraîne également une grande précarisation matérielle et sanitaire de la population. Le taux de chômage est de 18 % contre 7 % en France. Le chômage des jeunes est particulièrement inquiétant : 35% des 15 – 29 ans.12 % de la population est en situation de grande pauvreté.

Et les indicateurs sanitaires sont également préoccupants : 52 % de la population en situation de surpoids ou d’obésité, 25 % sont concernés par l’hypertension artérielle. L’empoisonnement des populations de Guadeloupe et de Martinique (plus de 90%) au chlordécone (un pesticide) avec la complicité de l’Etat français est une autre illustration de ce génocide programmé et de cette dépossession organisée (la prévalence des cancers de la prostate est double de celle de la France et une grande partie de nos sols sont pollués).

La Guadeloupe est un territoire insulaire, fragile avec un peuple constitué, une langue, une culture. Nous considérons que la Guadeloupe est une Nation. Cette Nation située à plus de 7 000 km de la France vit dans une situation de dépendance politique et économique vis-à-vis de la France, ce qui génère une grande vulnérabilité et nous coupe de notre espace économique, social et culturel naturel : La Caraïbe.

Dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, l’article premier précise que :

1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

La Guadeloupe dispose de richesses et de ressources naturelles, notamment une riche biodiversité, des ressources énergétiques comme la géothermie et des ressources maritimes. Nous sommes, parmi les dernières colonies françaises, celle qui bénéficie du plus grand linéaire côtier (plus de 620 km) ce qui nous confère une zone exclusive économique importante.

Tous ces atouts devraient pouvoir être exploités pour un développement socio-économique vertueux en faveur des enfants nés dans l’archipel, Un développement durable qui impose que les communautés gèrent leurs propres ressources, car les changements globaux auxquels nous sommes confrontés montrent les limites d’un monde globalisé.

Cela ne sera possible qu’en nous débarrassant de la tutelle coloniale et en instaurant de nouveaux rapports avec la France. Des rapports de nation souveraine ayant un pouvoir de décision politique permettant de protéger le peuple et la terre et maîtrisant son développement économique en coopération avec nos voisins de la Caraïbe.

En Guadeloupe, nous, organisations anticolonialistes, nous nous organisons, nous travaillons à construire notre nation avec nos ressources propres tout en nous inscrivant dans le combat pour les réparations. A l’extérieur, l’union des organisations des dernières colonies et le soutien international seront indispensables pour nous aider dans notre lutte contre le colonialisme. Les multiples soulèvements populaires de ces dernières années expriment une volonté d’un autre dessein. Volonté qui fait invariablement l’objet de répression et d’acharnement judiciaire de la part de la puissance coloniale.

La communauté internationale ne peut pas rester insensible à la disparition prévisible de notre peuple et à sa volonté d’épanouissement mise à mal par une puissance coloniale. Nous devons continuer à apporter notre contribution à la communauté humaine.

Nous comptons donc sur votre soutien pour nous aider à faire inscrire la Guadeloupe et les autres pays encore sous domination coloniale française sur la liste des pays à décoloniser comme le sont Montserrat, Anguilla, les îles vierges britanniques qui sont nos voisins immédiats et qui ont connu la même construction historique que nous.

 

Nou vlé pa disparèt,
Nou ka goumé a kaz an nou
Nou ka mandé zót ban nou on pal. Vive la solidarité internationale !

 

22 septembre 2023
New York
Nathalie MINATCHY (ANG)

 

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L’Alyans Nasyonal Gwadloup est un mouvement politique ET citoyen, regroupant à la fois des autonomistes et des indépendantistes, tous unis sous la bannière du nationalisme.

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